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très étroite sur la rue des Gobelins, s’étend un terrain considérable, de 7,000 mètres au moins, appartenant au même propriétaire que le no  3 de la même rue. C’est ce qui lui a inspiré sans doute l’idée de mettre son terrain en valeur en y perçant une rue allant de la ruelle des Gobelins à la rue des Gobelins, tout près de son débouché sur l’avenue.

Sur ce terrain s’élèvent diverses constructions d’époques très différentes. La plus ancienne, la seule dont nous nous occupons, est certainement de la même date que la maison du no  19. Ce bâtiment est en forme de parallélogramme de 40 à 50 mètres de long sur 8 ou 10 de large ; il est divisé en trois étages. Contre les deux pignons, et aux deux extrémités opposées, sont appliquées deux tourelles contenant chacune un escalier à vis dont le noyau central servant de rampe est formé d’un seul morceau de bois de 8 à 10 mètres de long, creusé de moulures profondes et d’un dessin très caractéristique. Ces escaliers remontent, comme la maison donnant sur la rue, à la fin du xve siècle ou au début du xvie.

Le corps de bâtiment compris entre ces deux escaliers forme trois vastes salles, une à chaque étage, éclairées par des fenêtres qui ne paraissent avoir jamais reçu de meneaux. Les murs ne portent aucune trace de division intérieure. Les pièces auraient donc toujours servi de magasins ou d’ateliers et n’auraient pas été destinées à recevoir des habitants.

Il ne faut pas oublier que sous un autre bâtiment voisin du précédent, naguère en bordure de la Bièvre et aujourd’hui en façade sur la ruelle des Gobelins, a été creusée une immense citerne que nous n’avons pu visiter parce qu’elle est constamment remplie d’eau ; il nous a été assuré qu’elle mesure une quarantaine de mètres de long sur 7 ou 8 de large et 5 ou 6 de profondeur. Évidemment une pareille excavation a été pratiquée pour les besoins d’une industrie exigeant beaucoup d’eau et non simplement pour fournir les eaux ménagères d’une habitation privée.

Sans avoir eu le temps de pousser bien loin mes recherches, j’ai consulté quelques anciens historiens de Paris et particulièrement la série des plans de Carnavalet, et j’ai constaté avec surprise que cet immeuble, de la fin du xve siècle, n’était pas indiqué sur la plupart des plans. Verniquet lui-même ne porte à cet endroit qu’un terrain vague. Peut-être cette omission doit-elle s’expliquer par la situation excentrique de l’immeuble. En 1791, la porte qui fermait le faubourg Saint-Marcel se trouvait avant l’entrée de la manufacture, rue Mouffetard.

Mais on sait que la famille Gobelin a eu sur les bords de la Bièvre, à cette place même, une teinturerie importante.

On supposait que cette industrie avait disparu pour faire place à la manufacture des Gobelins. Or, rien ne prouve que les deux établissements n’ont pas coexisté l’un à côté de l’autre au dix-septième et au dix-huitième siècle. La tradition veut que M. de Julienne, le célèbre amateur, l’ami de Watteau, ait habité ce pavillon de chasse tout voisin des Gobelins qui disparaîtra bientôt. On n’ignore pas que M. de Julienne était inspecteur des manufactures et avait les teintureries dans ses attributions.

Il y a donc de sérieuses présomptions pour que cette maison dite de la reine Blanche, qui ne remonte pas au delà de la fin du xve siècle, soit tout simplement la construction que de vieux historiens appellent la folie Gobelin et que nous ayons ainsi sous les yeux l’atelier où la famille des marchands teinturiers en écarlate a érigé sa fortune et sa réputation.

Certes, cette hypothèse a besoin de confirmation ; mais, si des preuves positives venaient la corroborer, le berceau de la famille et du quartier des Gobelins ne mériterait-il pas que la Ville ou l’État se préoccupât de conserver un édifice d’un aussi’ grand intérêt historique ?

Je dois ajouter que la Commission des monuments historiques se préoccupe en ce moment même de la question. Elle a chargé un jeune architecte attaché à ses travaux de faire un relevé des anciens édifices de la rue des Gobelins. Cela ne nous paraît pas suffisant. La Ville de Paris n’est pas si riche en édifices de cette époque pour qu’on ne tente pas d’assurer la conservation de ceux dont nous venons de parler, surtout quand il s’y attache de pareils souvenirs.

Je demande donc, pour conclure, à M. le Préfet de la Seine et aux membres de la Commission du Vieux Paris de vouloir bien recommander l’examen de la question à la sollicitude du Conseil municipal.

Jules Guiffrey. »


M. le Président, au nom de la Commission, remercie M. Guiffrey de son intéressante étude.


M. Alfred Lamouroux propose de demander le classement de l’intéressante construction dont il vient d’être question et appelle l’attention de la 3e Sous-commission pour une reproduction spécialement appropriée.