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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

chés sur cette figure agonisante de la compagne de sa vie : arrivé sur le seuil, il déposa un baiser sur le front décoloré de sa femme, et la remit entre les bras de ses parents, en leur recommandant d’en avoir tous les soins possibles… et la porte se referma sur nous.

De Lorimier me dit, en regagnant l’entrée de notre cachot : — « Le plus fort est donné ! »… Il était ferme, mais pâle comme la mort.

Il passa une partie de la nuit en prières et à écrire une lettre qui était comme son testament politique[1] ; puis, selon qu’on le lui avait

  1. Voici cette lettre noble et touchante, mais qui se ressent de l’exaltation des sentiments dominants de l’époque et de ses espérances irréalisables.
    Prison de Montréal.
    14 Février 1839 à 11 heures du soir.

    Le public et mes amis en particulier attendent peut-être une déclaration sincère de mes sentiments : à l’heure fatale qui doit nous séparer de la terre, les opinions sont toujours regardées et reçues avec plus d’impartialité. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui a obscurci beaucoup de ses actions, pour se laisser voir en plein jour ; l’intérêt et les passions expirent avec ses dépouilles mortelles. Pour ma part, à la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire faire connaître ce que je ressens et ce que je pense. Je ne prendrais pas ce parti, si je ne craignais qu’on ne représentât mes sentiment sous un faux jour : on sait que la mort ne parle plus, et la même raison d’état qui me fait expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir de prévenir de telles fabrications et je le fais d’une manière vraie et solennelle à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud environné d’une foule stupide et insatiable de sang, mais dans le silence et les réflexions du cachot.