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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

cette scène, encore aujourd’hui la plus présente à mon imagination de toutes celles dont j’ai été ou l’auteur ou le témoin, dans le cours de ces événements si pleins de scènes tragiques.

— Ô Marie ! la mère des douleurs et des malheureux de ce monde, m’écriai-je en moi-même, en montant dans la voiture cellulaire, priez pour ma pauvre mère !

Deux heures plus tard, mes bons parents entraient dans ma prison et m’embrassaient… Deux fois, presque coup sur coup, ma mère perdit connaissance dans mes bras ; deux fois je sentis les battements de son cœur cesser près du mien qui battait à se fendre !… J’endurai, dans ce moment, la plus grande angoisse qu’il m’ait été donné d’endurer dans le cours d’une existence qui n’en a pas manqué !

À la suite d’un ajournement de deux jours, notre cause fut continuée et terminée le 21 janvier. Huit fois nous avions été traînés, les fers aux mains, devant le tribunal exceptionnel qui devait décider de notre existence. Pendant ces longs jours de notre procès, les outrages et les avanies ne nous ont point fait défaut de la part de la populace qui s’amassait sur notre passage et qui envahissait les abords du tribunal. Quelques-uns de nos juges même ne nous épargnaient pas les sanglantes insultes : c’est ainsi que quelques-uns d’entre eux s’amusaient, durant les séances, à dessiner des bonshommes pendus à des gibets, et ces grossières caricatures, qu’ils se passaient sous nos yeux paraissaient les amu-