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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

nos amis étendus sur la neige dans leur toilette de condamnés !…

Il semblerait que de pareilles scènes auraient dû suffire à contenter la rage de haine dont une certaine portion de la population était alors animée ; mais non !… Un volontaire nous dit, en nous montrant du doigt ces cadavres dont la vue nous saignait au cœur, que bientôt nous en aurions autant ; et, ce jour-là, notre voiture souleva sur son passage les mêmes menaces, les mêmes insultes et les mêmes vociférations que les autres jours.

Notre procès fut signalé par un accident arrivé à l’un de nos juges, dont j’aime mieux taire le nom. Il avait eu la mâchoire inférieure cassée d’un coup donné par un canadien du faubourg Saint-Joseph, dans une querelle dont une bataille de chiens, paraît-il, avait été la cause ou le prétexte. Nous le revîmes après, sur son siége de juge, la figure entourée de bandelettes.

Le burlesque se mêlait au tragique pour nous abreuver de toutes les souffrances et de toutes les humiliations ; mais un sentiment plus puissant que toutes les souffrances nous soutenait, le sentiment religieux ; la religion avait maintenu le courage de ceux de nos amis mis à mort, elle leur avait inspiré le pardon des injures et montré le ciel ouvert au-dessus de l’échafaud ; la religion nous soutenait aussi nous pendant ces terribles journées. Les membres du clergé nous rendaient de très fréquentes visites : Monseigneur de Montréal, alors Monseigneur Lartigue,