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notes d’un condamné politique.

Je continuai donc à marcher seul et triste au milieu de la nuit, dans le dur chemin de l’exil. À moins d’une demi-lieue des ruines de mon établissement était située la maison d’un intime ami, engagé comme moi dans le mouvement insurrectionnel : j’y entrai… La famille était en pleurs, son chef avait été fait prisonnier par les volontaires dans l’après-midi même, et emmené à Beauharnais avec la troupe que quelques heures auparavant nous devions attaquer.

— Ah ! mon Dieu, vous voilà, s’écria la pauvre femme de mon ami, en m’apercevant ! Fuyez, fuyez ! On vous cherche, et ils disent qu’ils vont vous pendre s’ils vous prennent…… Et mon pauvre mari ! ajouta-t-elle, en fondant en larmes.

Je me sentis plus faible devant ces pleurs que je ne l’étais devant les ruines de ma maison et de mon avenir, et j’avais plus froid près de ce foyer que sous la gelée de la nuit dans le chemin.

Je ne voulus pas exposer plus longtemps cette famille aux terreurs et aux dangers de ma présence au milieu d’elle ; aussi me hâtai-je de demander à manger pour repartir aussitôt ; je n’avais rien pris depuis le matin. Je mangeai sans trop d’appétit et bus un bol de lait qui me fit du bien, puis je pris congé de mes hôtes comme si je n’eusse dû jamais les revoir.

Les émotions de ces scènes, jointes à une marche de six lieues et aux fatigues éprouvées depuis huit jours, pendant lesquels je n’avais pas ôté une seule fois mes habits pour me cou-