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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

neuf années alors dernières, n’avait pu produire à ce point ; je demeurai plus de deux fois vingt-quatre heures sans dormir.

De Gaspé, huit jours de navigation entre les deux superbes rives du plus beau fleuve du monde nous amenèrent dans le port de Québec, où nous jetâmes l’ancre le 10 septembre, qui était un dimanche, vers deux heures de l’après-midi.

Je descendis à terre presqu’immédiatement après notre arrivée, laissant à bord ma malle, du reste fort peu considérable. Je pris une calèche sur la place et je me fis conduire à un hôtel canadien. Les plus petites choses ont leur signification dans de semblables situations : je ne saurais exprimer, par exemple, l’effet qu’eut sur moi la vue de cette calèche et l’impression que je ressentis quand j’entendis parler français autour de moi, et que je perçus, surtout, ces simples mots que le cocher adressa à son cheval : — « Marche donc. » Un éclair traversa ma pensée, et l’image de Long-Bottom s’offrit à mon esprit comme contraste. Il me semblait entendre, en opposition aux mots de commandement que mon cocher adressait à son cheval canadien, les mots si rudes à nos langues et à nos oreilles, que nous adressions à nos associés de travail, les bœufs australiens : — « Hi ! Dji ! » C’est ainsi, que pour nous confondre et nous humilier, sans doute, Dieu permet que ces idées triviales viennent s’offrir à notre pauvre cerveau, souvent dans les moments les plus solennels. Qui n’a pas éprouvé cela plusieurs fois dans sa vie ?