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notes d’un condamné politique.

cédés pour fendre ces billots et les réduire en lattes ; après quoi ils s’en allèrent reprendre leur propre ouvrage, pour le reste de la journée.

Il nous restait alors encore environ deux heures de travail, que nous employâmes de notre mieux, M. Bourdon et moi, à continuer le même labeur. Pendant ces deux heures d’ouvrage, nous fendîmes chacun environ quarante lattes : dans le même espace de temps, un homme parfaitement au fait de la besogne en eût fendu à peu près deux cents.

Le soir, réunis tous les douze dans notre cabane, après notre souper, nous passâmes la plus agréable veillée qu’il nous eût encore été donné de passer dans les terres australes. Jusqu’à onze heures, notre conversation, entremêlée de chansons canadiennes, roula sur notre cher pays, sur les parents et les amis absents. Chacun pensa et parla de sa famille, de sa paroisse, exprimant le ferme espoir de revoir encore l’une et l’autre avant de mourir. Cette conversation bien douce, sans doute, n’était pas sans larmes cependant ; il y avait parmi nous des époux et des pères dont les épouses et les enfants étaient absents et peut-être nécessiteux.

Notre travail allait toujours ; et nous acquérions de l’expérience et de la dextérité dans notre nouveau métier, lequel, néanmoins, fatiguait considérablement mon camarade, M. Bourdon, qui était faible de tempérament. Bien que plus robuste que mon ami, je ne laissais pas non plus que de trouver la besogne fort dure.