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notes d’un condamné politique.

nous tenions responsables que de notre part de besogne, que nous exécutions en conscience.

Dans l’état provisoire de l’établissement de nos maîtres, nous étions fort mal logés, en compagnie d’une multitude de rats d’une effronterie remarquable ; mais nous étions bien et abondamment nourris. Il fallait voir quels hommages nous rendions à la bonne table de nos maîtres : nous avions presque honte de trouver tant de satisfaction à manger ; mais c’étaient les cris de joie de nos pauvres estomacs. En un mot, notre situation nouvelle, bien que peu enviable en soi, puisque nous n’étions après tout que des esclaves portant la livrée des criminels, notre situation nouvelle était un paradis terrestre comparée à notre position des années précédentes.

Enfin, après trois semaines de travaux d’atelier, nous nous mîmes, nos maîtres et nous, à monter la boutique, en étalant, sur les tablettes d’un magasin qu’on avait loué, les sirops, les gâteaux et les bonbons. Il arriva alors que mon compagnon, M. Bourdon, et moi fûmes séparés l’un de l’autre ou à peu près, par le genre différent d’occupations qui nous furent attribuées. M. Bourdon, sachant l’anglais beaucoup mieux que-moi, fut mis au comptoir, où il recevait, sous la direction de l’associé français, tout le monde fashionable de Sydney ; tandis que, moi, je restai aux casseroles avec l’Allemand, qui, pour être le meilleur ouvrier des deux associés, n’en était pas le plus aimable. J’ai peu d’ap-