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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

ou forçats en rupture de ban, lesquels souvent se réunissent en troupes et parcourent la contrée, en se livrant à toute espèce d’excès et de crimes.

Il n’y a pas que les loués qui soient tenus ainsi de justifier de leur régularité, mais les forçats mi-affranchis (ticket-of-leave) ; et les hommes libres mêmes sont obligés de porter des sauf-conduits, s’ils ne veulent pas s’exposer à être arrêtés ; car, lorsqu’un crime a été commis, la police montée n’y met pas grandes cérémonies (c’était du moins le cas à l’époque dont je parle) : elle arrête tous ceux qui ne sont pas connus comme citoyens ou ne sont pas munis de permis ou de sauf-conduits. L’état moral de ces populations rend ces mesures absolument nécessaires. Bien souvent, il n’y a que l’habit de condamné qui distingue le colon du criminel : à part des vieux criminels libérés, il y a là foule de gens qui, pour avoir échappé à une condamnation judiciaire, ne s’en sont pas moins faits à eux-mêmes justice, en s’exilant aux terres australes. Cependant, on trouve, dans cet état si répulsif de société, des citoyens du premier mérite ; au point qu’on ne comprend pas pourquoi ils ont choisi ces colonies pour patrie adoptive. Il y a même d’anciens forçats qui sont, au fond, de très-braves gens ; car ceux que la justice humaine confond sous le nom de condamnés ne sont pas tous au même rang devant Dieu, la conscience et l’honneur ; avec cela que plusieurs ont été les victimes de l’erreur, d’autres, les victimes de l’injustice.