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notes d’un condamné politique.

sillonnaient ces eaux, et nous nous prenions à envier le sort des esclaves noirs qui manœuvraient ces légers esquifs.

Ces scènes délicieuses nous rappelaient les heureux bords du Saint-Laurent, et nous faisaient rêver des êtres chéris que nous avions quittés, peut-être, hélas ! pour ne plus les revoir, du moins dans ce monde.

Notre relâche au port de Rio-Janeiro fut de cinq jours, qui nous furent d’un immense service ; car, pendant ce temps, on nous donna un peu plus de liberté, dont nous profitâmes pour pratiquer quelques opérations de propreté ; puis le calme de la Baie nous accordait une trêve devenue nécessaire, surtout à nos pauvres malades. Mais ce qui nous réconforta surtout fut l’achat qu’on fit pour nous, avec le peu d’argent qu’on nous avait confisqué, de fruits et autres rafraîchissements, qui eurent sur nos estomacs délabrés, l’effet d’un baume adoucissant sur une blessure. Il était temps ; car je crois sincèrement que, sans cette relâche, plusieurs de nos compagnons, des deux côtés du navire, seraient morts de misère et d’exténuation.

Il y avait dans le port de Rio-Janeiro des navires de la marine royale d’Angleterre ; plusieurs officiers de ces navires vinrent nous voir : l’un d’eux, apparemment d’un grade supérieur, demanda, en notre présence, à l’officier du bord qui l’accompagnait, si nous étions soumis au régime alimentaire des forçats (convicts) ; on lui