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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

que je m’efforçais, avec mes autres compagnons, de lui prodiguer les soins du cœur, à défaut de tous les autres qu’il nous était impossible de lui procurer.

Les promenades que nous faisions sur le pont (je parle de ceux qui pouvaient s’y rendre) n’étaient guère un soulagement sous l’ardeur des feux tropicaux ; si nécessaires qu’elles fussent à notre santé, elles ne semblaient servir, tout simplement, qu’à nous faire remarquer combien était imprégné de fièvre l’air de notre logement.

Il se trouve de bons cœurs partout ; nous en rencontrâmes au sein de l’équipage du Buffalo ! Deux soldats, touchés de tant de misères, eurent l’humanité d’apporter à des malades un peu d’eau dans laquelle ils avaient mêlé leur ration de rhum ; surpris une fois sur le fait, ils furent fouettés tous les deux. Cette rigueur n’empêcha cependant pas un pauvre matelot d’apporter, lui aussi, dans les rares occasions qu’il pouvait saisir, un peu d’eau à ceux qui souffraient le plus de la soif ; mais il se servait d’une botte pour cet office de sublime charité. Tel était le besoin de boire qui nous tourmentait que ce vase repoussant n’empêchait pas de trouver cette eau délicieuse. Ces trois hommes n’étaient pas les seuls de l’équipage qui eussent pour nous de la compassion : il leur fallait, en effet, avoir des complices de charité ; car autrement ils n’auraient pu accomplir une seule fois leurs bons services. Souvent nous recevions des marques de sympathie des gens de la fré-