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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

qu’on nous avait donnés, n’eut pas de peine à se développer et à se multiplier, dans les conditions toutes favorables que lui offrait notre pénible situation : nous en fûmes bientôt couverts.

Le lecteur me pardonnera ces détails dégoûtants : mais je veux rendre complètement, autant qu’un court récit peut le faire, le tableau des souffrances que nous avons endurées.

Les seaux dans lesquels on nous servait à manger étaient d’une malpropreté incroyable ; nous ne pouvions guère le constater, dans notre taudis obscur, que par l’odeur ; mais plusieurs fois nous pûmes nous en convaincre du regard, sur le pont, en étant témoins des sales procédés employés pour laver ces baquets après le repas. Que Dieu pardonne à ceux qui nous ont traités de la sorte, comme je leur pardonne ; mais il est triste pour la pauvre humanité d’avoir à signaler de pareilles infamies. Ah ! lecteurs de mon pays, habitants de nos campagnes et de nos villes si chrétiennes, jamais vous ne pourrez concevoir ce que nous avons souffert ; et tout mon étonnement, aujourd’hui, est que nous ayons pu y survivre. C’est étonnant comme l’homme peut endurer de souffrances morales et physiques.

J’ai dit un mot de l’insuffisance de notre ration alimentaire ; mais que de fois n’avons-nous pas vu diminuer encore cette ration par les accidents du transport, de la cuisine à notre étroit et noir logis, surtout dans les jours de gros vent, alors que le roulis et le tangage ren-