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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

d’exil et moi, ne sauront comprendre tout ce que nous ayons enduré. À l’heure qu’il est, quand j’y pense, c’est comme un rêve dans lequel j’aime à me sentir délivré de mes maux, ou comme un cauchemar dont je cherche à me débarrasser, selon la disposition d’esprit dans laquelle je me trouve.

Il semblera au lecteur que notre situation était assez pénible pour ne pas inspirer autre chose, à un être humain, que de la pitié ; que notre pénurie et notre misère étaient assez grandes pour ne pas suggérer l’idée d’y ajouter encore, qu’il ne devait venir à la pensée de personne de se faire une position meilleure aux dépens de malheureux comme nous. Eh bien ! il n’en fut rien. Il se trouva, parmi les employés du bord, un homme qui crut pouvoir tirer parti à son profit de la triste impuissance dans laquelle nous nous trouvions de pouvoir déjouer ses projets.

Il y avait, à bord de la frégate, un individu du nom de Black, marchand banqueroutier du Haut-Canada, lequel avait obtenu le privilège d’un passage gratuit aux terres australes, à la condition de nous servir de maître-d’hôtel pendant la traversée : c’était lui qui faisait le partage des rations des prisonniers et qui devait veiller à la propreté de notre logement. Il vint à la pensée de ce misérable de se rendre important auprès des autorités du bord, et probablement d’obtenir une récompense, en fabriquant contre nous la plus noire comme la plus lâche