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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

pousser à quelqu’acte de désespoir qui pût donner l’occasion de nous décimer. On avouera que de pareilles idées étaient parfaitement justifiées par la manière dont on nous traitait dans notre immense malheur.

Pendant huit jours, donc, nos pauvres compagnons malades eurent à subir ces terribles épreuves du mal de mer, et pendant huit jours, nous leur prodiguâmes les soins en notre pouvoir, les nettoyant, les aidant à se relever quand ils tombaient, les introduisant dans leur lit le soir, les en retirant le matin, à l’heure fixée par le règlement.

Enfin, le quatorzième jour après notre départ, le calme se fit et le beau temps reparut : ce jour-là nous pûmes monter sur le haut pont, pour y respirer l’air pur et frais de la mer. Nos pauvres malades se sentirent de suite soulagés, et deux jours après il ne restait plus que cinq de nos compagnons qui conservassent encore des traces du terrible mal.

Mais une autre souffrance physique nous attendait à ce point de notre voyage. Les marins disent que l’air de la mer creuse l’estomac : eh bien ! oui, l’air de la mer et notre quasi abstinence de huit jours venaient d’augmenter considérablement notre appétit ; mais il fallait cependant se contenter de la quantité d’aliments voulue par le règlement. Aussi, la plupart d’entre nous eurent-ils à souffrir affreusement, pendant toute la traversée, de l’insuffisance de nourriture.

Jamais d’autres que nous, mes compagnons