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CROQUIS DE PROVINCE

UN GRAND INNOCENT

Tout au bout de Fourquières, à l’endroit où les dernières maisons de la ville commencent à s’espacer comme les retardataires d’un troupeau, on peut voir une maisonnette bien simple, toute blanche, veuve des tuiles rouges et des volets verts, qui égayent si bien les descriptions romanesques ; elle est couverte en ardoises bleuâtres, un peu moussues, et ses fenêtres s’abritent derrière des contrevents gris. Un enclos l’entoure, avec quelques bons vieux arbres touffus, un petit potager, grand comme un mouchoir de poche, et deux ou trois grosses perruques de chèvrefeuille et de vigne vierge. L’ensemble est terne, tranquille et doux. Quand le soleil est beau, la maison ne paraît pas s’éclairer, comme ses voisines, en grands reflets crus. Les oppositions d’ombre sont moins vives. Les ardoises ne flamboient pas sous les rayons tombant d’aplomb. Quand le temps est sombre, en revanche, elle jouit du privilège de tout ce qui est effacé ; elle garde son apparence personnelle en dépit des circonstances extérieures. Elle n’est pas gaie par les beaux jours ; mais par les jours sombres elle n’est pas triste.

Je ne sais si les êtres vivants communiquent à ce qui les entoure quelque chose d’eux-mêmes, ou si, au contraire, ce sont les objets environnants qui réagissent sur les gens dont ils accompagnent l’existence, mais on ne peut nier qu’il y ait une concordance sympathique entre la vie et le milieu où elle se meut. Ainsi, il y avait peut-être dans Fourquières une seule maison comme celle que je viens de dépeindre. Il y avait peut-être, dans le chef-lieu de la Haute-Garrière, un seul