Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/48

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V.


Helas ! contez vos jours : les jours qui sont passez
Sont desja morts pour vous, ceux qui viennent encore
Mourront tous sur le point de leur naissante Aurore,
Et moitié de la vie est moitié du decez.

Ces desirs orgueilleux pesle mesle entassez,
Ce cœur outrecuidé que vostre bras implore,
Cest indomptable bras que vostre cœur adore,
La Mort les met en geine, & leur fait le procez.

Mille flots, mille escueils, font teste à vostre route,
Vous rompez à travers, mais à la fin sans doute,
Vous serez le butin des escueils, & des flots.

Une heure vous attend, un moment vous espie,
Bourreaux desnaturez de vostre propre vie,
Qui vit avec la peine, & meurt sans le repos.

VI.


Tout le monde se plaint de la cruelle envie
Que la nature porte aux longueurs de nos jours :
Hommes, vous vous trompez, ils ne sont pas trop cours,
Si vous vous mesurez au pied de vostre vie.

Mais quoy ? je n’entens point quelqu’un de vous qui die :
Je me veux despestrer de ces fascheux destours,
Il faut que je revole à ces plus beaux sejours,
Où sejourne des Temps l’entresuitte infinie

Beaux sejours, loin de l’œil, pres de l’entendement,
Au prix de qui ce Temps ne monte qu’un moment,
Au prix de qui le jour est un ombrage sombre,

Vous estes mon desir : & ce jour, & ce Temps,
Où le Monde s’aveugle, & prend son passetemps,
Ne me seront jamais qu’un moment, & qu’une Ombre.