Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/46

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le dit sieur de Sponde.

I


Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie,
Vie qui meurt encor dans le tombeau du Corps,
Vous qui r’amoncelez vos tresors, des tresors
De ceux dont par la mort la vie fust ravie :

Vous qui voyant de morts leur mort entresuyvie,
N’avez point de maisons que les maisons des morts,
Et ne sentez pourtant de la mort un remors,
D’où vient qu’au souvenir son souvenir s’oublie ?

Est-ce que votre vie adorant ses douceurs
Deteste des pensers de la mort les horreurs,
Et ne puisse envier une contraire envie ?

Mortels, chacun accuse, et j’excuse le tort
Qu’on forge en vostre oubli. Un oubli d’une mort
Vous monstre un souvenir d’une eternelle vie.

II.


Mais si faut-il mourir, & la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les Soleils haleront ces journalieres fleurs,
Et le temps crevera ceste ampoule venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs
L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive escumeuse.

J’ai veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Ou d’une ou d’autre part esclatera l’orage.

J’ay veu fondre la neige, & ces torrents tarir,
Ces lyons rugissants, je les ay vus sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.