Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/42

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Mais je sens dedans moy quelque chose qui gronde,
Qui fait contre le Ciel le partisan du Monde,
Qui noircit ses clartez d’un ombrage touffu,
L’Esprit qui n’est que feu de ses desirs m’enflamme,
Et la chair qui n’est qu’Eau pleut des Eaux sur ma flamme,
Mais ces eaux là pourtant n’esteignent point ce feu.

La chair des vanitez de ce Monde pipee
Veut estre dans sa vie encor enveloppee,
Et l’Esprit pour mieux vivre en souhaite la mort.
Ces parties m’ont réduit en un péril extresme.
Mais, mon Dieu, pren parti de ces partis toy mesme,
Et je me rangeray du parti le plus fort

Sans ton aide, mon Dieu, cette chair orgueilleuse
Rendra de ce combat l’issue perilleuse,
Car elle est en son regne, & l’autre est estranger.
La chair sent le doux fruit des voluptez presentes,
L’Esprit ne semble avoir qu’un espoir des absentes.
Et le fruit pour l’espoir ne se doit point changer.

Et puis si c’est ta main qui façonna le Monde,
Dont la riche Beauté à ta Beauté responde,
La chair croit que le Tout pour elle fust parfait.
Tout fust parfait pour elle, & elle d’avantage
Se vante d’estre, Ô Dieu, de tes mains un ouvrage,
Hé ! deffairois-tu donc ce que tes mains ont fait ?

Voila comme l’effort de la charnelle ruse
De son bien pour son mal ouvertement abuse,
En danger que l’Esprit ne ploye en fin sous lui.
Viens donc, & mets la main, mon Dieu, dedans ce trouble,
Et la force à l’esprit par ta force redouble :
Un bon droit a souvent besoin d’un bon appuy.