Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/34

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Vos triomphes d'honneur estoyent desjà tous prests,
Mais quoy ! faut il mesler les Lauriers de Cyprez
Et de mon triste dueil la joye de vos gloires !

Où m'avez-vous laissé ces aimables delices,
Ces mielleuses humeurs, ces yeux de mon ami ?
Hé ! cuidez vous qu'on puisse ainsi vivre à demi,
Si ce n'est comme on vit au milieu des supplices ?

Luy qui vous avoit fait si prompte compagnie,
Qui couroit genereux aux dangers comme vous,
A-il tout seul laissé, dans le malheur des coups,
L'ame, de luy, de nous & de moy desunie ?

Encore que vostre coup de la coulpe s'exempte,
Et que son meurtrier aille au rang des innocens,
Si faut-il, quel qu'il soit, pour contenter mes sens
Si je ne le condamne, au moins qu'il sen repente.

Aveugle il a guidé son aveugle fortune;
Et si son cœur n'a fait un si piteux dessein,
L'outil ne s'est trouvé pour le moins qu'en sa main,
Et de luy seul nous vient ceste perte commune.

Mais en quelque façon qu'elle soit advenue
Je vois mon pauvre ami sur la poudre estendu,
Et les glaçons tous froids de ce sang respandu
Où jadis luy bouilloit sa valeur si cognüe.

Ces playes, que je voy perçee ainsi ces armes,
Me perçent jusqu'au vif mon esprit tout dolent,
Mais dolent de l'effort d'un dueil si violent,
Qu'il arreste & devore, & ma voix, & mes larmes.

Lors que la voix, les cris, & l’œil les pleurs nous donne
Ce sont des maux lesgers qui s'envolent par là,
Mais ce mal est plus grand que non pas tous ceux là
Un mal sous qui mon sens & s'estouffe & s'estonne.

Mais à ce mien ami, pour marque plus notoire
Que je l'ay tant aimé, je luy garde un tombeau :