Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/30

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Et sans ceste memoire, un amour si vivant
Qu'on ne me trouve point pour un homme de vent.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Tout ainsi que l'on dit de ce mont embrasé,
Dont le foudre & le vent ne peut estre appaisé,
Qu'il ne vommisse en hait, des cavernes profondes
D'un abisme grondant, ses feux à grosses ondes :
La neige d'alentour fondant à gros morceaux
Au lieu de l'estouffer l'en flamme de ses eaux :
Mon cœur bruslant de mesme en mesme violence
Brandons dessus brandons devers le ciel eslance,
Et quoy que le feu meure en la glace autrement,
Mes feux tout au rebours y trouvent aliment,
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

La nature est flottante, & par ses mouvements,
Elle se peint le front de divers changemens :
Et son estre incertain est un certain presage
Qu'ainsi comme elle pert visage apres visage
Elle perdra sa vie à la fin par la mort :
Mais mon amour constant qui jamais ne desmord
Ne change point du tout & sa vie estouffee
Ne servira jamais à la mort de Trophee :
Enfin j'auray dit vray, ne fust-ce que ce poinct,
Que j'aime de l'esprit & l'esprit ne meurt point.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Quand est de nostre absence, helas je sens assez
Que ce mal est contraire à mes plaisirs passez,
Et que je pers beaucoup par mes longues souffrances
Du bon heur que m'avoyent conçeu mes esperances.
Mais cet amour pourtant dont mon cœur est touché
N'est point par son essence à l'absence attaché,