Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/29

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Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Ce bel or qui nous donne un si bel argument,
Ne se va tant soit peu dans un feu consumant,
Et d'autant plus ce feu dans son ardeur persiste
Tant plus encore cet or s'anime & luy resiste
Et mille fois remis dans le plomb qu'il soustient
Plus brillant & plus beau mille fois il revient :
Mon amour est de mesme; & tous les maux qu'il treuve
Ne luy servent de rien que d'une vive espreuve,
Dont le brasier, encor qu'il se sente cuisant,
Luy fait l'ame plus nette & le front plus muisant.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

On n'esut jamais cognu le Scevole Romain
Sans le beau desespoir des deux coups de sa main.
Cesar sans les Gaulois, Scipion sans Carthage
Le sommeillant repos endormoit leur courage,
Et leur nom dans la mort s'alloit desja plonger
S'il n'eust trouvé sa vie en cherchant le danger.
Mon Amour cherche ainsi, pour se montrer si brave
Des perils de l'Amour le peril le plus grave,
A la fin on verra, pour marque de vertu
Qu'il sçait que c'est de batre & non d'estre batu.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Quand je fus, par malheur, de ma belle distrait
J'emportay dans mon cœur, non le vulgaire trait
Dont mille ames gisoyent à ses pieds comme morts
Mais les traits qui m'avoyent navré de mille sortes
Dont elle mesme encore à l'ennuy se blessa
Et pour gage cerain d'Amour me les laissa.
Comment voulez vous donq, qu'encore que je m'absente
Je n'en retienne point la memoire recente ?