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LE FIANCÉ

en général, elle ne faisait attention qu’aux femmes.

Prosper fut-il une exception triomphante, le Phaon de cette Sapho ? On l’ignore, et il ne s’en est jamais vanté. Ou bien peut-être sa grâce adolescente de jeune dieu troubla-t-elle d’un charme ambigu la tragédienne mûrissante ? Toujours est-il qu’elle le couvrit de sa haute protection, lui aplanit vers le Théâtre-Français les chemins que son père n’avait pu fouler. Elle alla même plus loin. À une époque particulièrement périlleuse pour les jeunes célibataires robustes, à la veille de la campagne de Russie, elle parvint à le faire exempter de la conscription. Prosper estimait, en effet, que son oncle représentait avec assez d’éclat la famille Lanchantin aux armées pour qu’il pût se dispenser d’y courir. Il n’en aurait que plus d’ardeur pour rivaliser avec M. Lafont dans les rôles héroïques de chevaliers, et pour être, avec une flamme incomparable, le Cid, le jeune Horace, Nérestan ou Tancrède :

À tous les cœurs bien nés que la patrie est chère !
… Conservez ma devise : elle est chère à mon cœur ;
Elle a dans mes combats soutenu ma vaillance ;
Elle conduit mes pas et fait mon espérance ;
Les mots en sont sacrés : c’est l’amour et l’honneur !

Mais, comme M. Lafont n’était nullement pressé de céder sa place, qu’il conserverait, comme tous les « chevaliers », jusqu’aux plus extrêmes limites de l’âge, Valmore s’essaya