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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

plaindre, car leur emploi est devenu pour eux une seconde nature dont ils ne se sépareront qu’avec un véritable déchirement.

Il devait en être ainsi pour Prosper Valmore, car, dès ses premières années, on lui prédit le plus brillant avenir ; celui que son père avait toujours rêvé, sans pouvoir l’atteindre, roulant de théâtre en théâtre, sans jamais fixer sa destinée, malheureuse cigale de plus dans un pays où il y en a tant !

L’enfant serait beau ; il était bien bâti, élégamment proportionné ; ses traits étaient réguliers et fins, d’admirables cheveux blonds ruisselaient en cascade sur ses épaules. Il avait la voix claire et bien timbrée, malgré une gorge délicate qu’il faudrait soigner avec attention. Dès qu’il put s’exprimer correctement, avant même de savoir lire, il débita le récit de Théramène et l’apostrophe de Lusignan. Son père se consolait de ses propres déboires et de sa gêne, en se disant : « Ma gloire, la voilà ! »

Préparé de la sorte, n’étudiant la grammaire et l’histoire que dans la mesure où elles servaient au théâtre, Prosper connut d’excellents débuts. La chance même, qui devait lui faire si cruellement défaut plus tard, commença par le servir. Une grande artiste s’intéressa à lui, et la chose est d’autant plus extraordinaire qu’elle se nommait Mlle Raucourt. Il arrivait, en effet, que Mlle Raucourt, en courant les provinces, y remarquât les jeunes talents : c’est à elle que la France dut Mlle George ; mais,