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LE FIANCÉ

Je le baisai, distraite, et ce baiser fut doux.
J’en entretins longtemps ma mémoire attendrie ;
Il me l’a bien rendu, car il est mon époux[1].

À tout prendre, la vocation de Valmore apparaît infiniment plus logique et plus naturelle que celle de sa fiancée. Il avait beau avoir un héros guerrier pour oncle, il n’en avait pas moins grandi parmi les boucliers de carton et les casques de fer-blanc. Il était, lui aussi, un simple enfant de la balle, et comme son père n’avait cessé de rugir les tirades de M. de Voltaire aux provinciaux ahuris, en les mêlant au Siège de Calais, de du Belloy, ou à La Veuve du Malabar, de Lemierre, il était pleinement persuadé que l’effort de l’esprit humain se circonscrit dans les cinq actes d’une tragédie. Quoi de plus noble que de s’exprimer en périphrases, de faire sonner les alexandrins, de n’interpeller les gens qu’avec de flatteuses épithètes : « Vertueux Châtillon… digne Nérestan… Héros infortuné ?… » Si le pli professionnel déforme si curieusement les acteurs, au point d’interposer constamment entre eux et la réalité une sorte de voile d’illusions et de mirage, que sera-ce pour ceux qui sont nés, ont grandi dans les coulisses ? De tous les artistes, certainement, ils seront les moins capables d’embrasser une autre profession. On les a raillés parfois ; on devrait bien plutôt les

  1. Le Retour à Bordeaux.