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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

avec Marceline, que la poésie, l’amour et la douleur avaient soigneusement gardée de toute vulgarité.

Valmore recherchait la distinction. Il se flattait d’appartenir à un milieu des plus élevés. Il s’appelait de son véritable nom Prosper Lanchantin, et il aimait à laisser entendre qu’il n’avait pas abandonné ce nom parce qu’il eût paru un peu ridicule pour jouer la tragédie, mais, au contraire, parce qu’il s’avérait trop glorieux. Il était, en effet, le neveu du général baron Lanchantin, tué d’un boulet de canon à Krasnoé, pendant la campagne de Russie, et ce grand personnage n’aurait pas permis sans doute que son nom figurât sur des affiches de théâtre… Au vrai, en se prêtant à cette légende, le jeune tragédien n’omettait qu’une chose : c’est que si son père se nommait Lanchantin à l’état civil, il était, lui aussi, connu comme Valmore sur les nombreuses scènes de province où il avait longtemps joué.

La profession paternelle explique la petite enfance de Prosper et comment, après être né à Rouen par hasard, il avait rencontré Marceline à Bordeaux. Plus tard, elle en fit un poème, quand leur destinée aventureuse les ramena aux bords de la Gironde :

Salut ! rivage aimé de ma timide enfance
Où de ma vie en fleur le songe a commencé !…
… Mon cœur inoccupé, trop jeune pour l’amour,
Sentit en l’écoutant, qu’il aimerait, un jour.
Un bel enfant dès lors troubla ma rêverie ;