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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

J’ai perdu ce que j’ai le mieux aimé au monde, et comment l’ai-je perdu ? Cette image s’attache à moi… N’est-ce pas un ange qui me suit ?

Oui, cher Félix, j’ai beaucoup souffert. Ce petit ami, cet enfant était l’unique charme et le seul espoir de ma vie. Ma triste existence se traîne à présent. Oh ! je suis bien malheureuse.

C’est que, dans ce petit être frêle, elle avait vu s’effacer la seule preuve vivante du grand amour dont elle portait toujours la blessure.

Du vrai père, aucune trace, aucun souvenir. Nul espoir de le retrouver. Qu’eût-elle pensé si elle avait su que, lui aussi, il était frappé d’un deuil identique, dans la personne de son fils légitime, le petit Léonce ?… Elle aurait songé que, malgré tout, leurs vies devaient demeurer parallèles, et elle en eût retiré comme une amère consolation.

Latouche connut-il la mort d’Eugène, baptisé de Bonne dans son berceau funèbre ? Quelques années plus tard, seulement, il ne craignit plus d’y faire allusion, dans les vers qu’il adressa, dans La Minerve littéraire, à sa tendre amie :

Aux vallons de Lesbos d’harmonieux zéphirs
Redisent de Sapho les vers et les soupirs ;
Et Pindare, cinq fois, vit la palme divine
Abandonner son front pour le front de Corinne.
Comme elle, tu vivras dans un long souvenir :
Soit qu’Amour dans tes chants dictés pour l’avenir