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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

Laissez-moi ma mélancolie ;
Je la préfère à l’ivresse d’un jour ;
On peut rire avec la folie
Mais il n’est pas prudent de rire avec l’amour.
Laissez-moi fuir un danger plein de charmes,
Ne m’offrez plus un cœur qui n’est qu’à vous.
Le badinage le plus doux
Finit quelquefois dans les larmes.

Vaines résistances. La jeune première fait appel inutilement à une amitié qu’elle croit trahir, à sa délicatesse, à son amère expérience… Le sort en est jeté. Les complaisances de Délie facilitent singulièrement la conquête de Latouche. Le roman commence :

J’osai me croire aimée : alors toute la terre
Tressaillit avec moi, me rapprocha des cieux ;
Pour écouter longtemps, je sus longtemps me taire
Et je ne répondis qu’au regard de ses yeux.
J’osai le soutenir et je perdis mon âme ;
Je ne me souvins plus, je n’entendis plus rien,
L’univers, c’était lui, lui m’appela son bien,
Et tout s’anéantit dans notre double flamme.

Nous sommes ici à l’origine des poèmes les plus étonnants de notre littérature. Ils ont été soupirés, au jour le jour, par une femme dont l’instruction était à peu près nulle, et qui n’avait lu que les médiocres pièces de théâtre qu’elle interprétait. Et ce style, ce mouvement, cette harmonie seraient entièrement inexplicables, malgré le miracle de l’amour, si nous ne savions que, tout de même, par intervalles, le divin Racine a passé par là, et