Page:Praviel - Le Roman conjugal de M. Valmore, 1937.pdf/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
MALHEURS DE LA JEUNE PREMIÈRE

paisible entre les saules, les peupliers et les bouleaux, dans une maison modeste au pignon moussu et au toit d’ardoise. Il pouvait citer parmi ses ancêtres, au blason d’azur chevronné d’or et semé de trèfles tigés de même, trois trésoriers de France, et ses deux oncles appartenaient au corps législatif de l’Empire. Il représentait fort bien le type du jeune homme sur lequel veille toute une lignée traditionnelle, et qui en constitue en quelque sorte la résultante. À vingt-deux ans, on s’était hâté de le marier avec Mlle Anne-Françoise-Joséphine de Comberousse, fille de l’ex-président du Conseil des Anciens.

Malheureusement, certains tempéraments déjouent toutes les précautions prises. Le jeune employé n’allait pas à son bureau. Le jeune mari n’avait aucun goût d’intérieur, surtout aux côtés d’une femme qui n’était jamais trois jours de suite en paix avec son estomac ou ses nerfs ; ils s’avéraient tous deux, elle maladive, hors d’état de dominer les embarras d’une maison, lui, impatient et bizarre comme un poète.

On a dit qu’il était boiteux et borgne. À la vérité, tandis qu’il faisait ses études dans ce collège de Pontlevoy où Balzac a tant souffert, un de ses camarades, d’un coup de balle, lui creva un cil, et cet accident ne lui laissa qu’un étrange feu rouge dans la prunelle. Mais sa démarche n’avait rien de claudicant. Il s’imposait tout de suite par ses manières exquises,