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UNE JEUNE PREMIÈRE

Et ce fut le retour, aussi épouvantable que le séjour. Cette fille de quinze ans, blonde et frêle, livrée seule aux rudesses de la mer, aux convoitises des matelots. On ne devinait ces épisodes que par bribes, au hasard de ses confidences ou de ses abandons. Au cours d’une tempête, elle se fit attacher à un mât pour ne rien perdre du spectacle et le conserver dans son âme déjà romantique. Au besoin, elle aurait crié, elle aussi : « Levez-vous, orages désirés ! » Comment, après avoir évité la fureur des éléments, et dans quelle mesure, réussit-elle à tromper la brutalité des hommes ? Un fait certain, c’est que le capitaine, par rancune, trouva le moyen de lui garder sa malle, quand elle débarqua, non plus à Brest mais à Dunkerque, et qu’elle rentra à Douai, dans un dénuement bien pire que trois ans auparavant.

La maison était toujours aussi lugubre, mais un peu allégée. L’oncle Constant avait gagné Paris, pour essayer de peindre : en attendant, il exécutait des copies. Félix s’était engagé et guerroyait quelque part en Espagne. Seules, Cécile et Eugénie, les grandes sœurs, entouraient leur père et tenaient le ménage.

Malgré sa détresse, Marceline fut accueillie en triomphatrice. On gardait toujours la même foi aux prédictions de la cousine de Lille. À cette époque, où si peu de professions s’offraient aux femmes, elle serait une grande artiste et la providence de tous les siens.