Page:Praviel - Le Roman conjugal de M. Valmore, 1937.pdf/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
UNE JEUNE PREMIÈRE

d’emblée aux scènes officielles, arriverait difficilement à s’en faire une idée. Il se souvenait seulement qu’à Bordeaux, dans sa petite enfance, tandis que son père jouait au théâtre, Mme Desbordes et sa fille l’avaient gardé parfois, et que Marceline, déjà maigriotte, comme rongée d’un feu intérieur, le faisait sauter sur ses genoux.

Bordeaux ! Tristes souvenirs pour elle ! Une directrice insolvable, Suzanne Latappy, était allée jusqu’à la gifler parce qu’elle réclamait son dû.

— À ton âge et tournée comme tu l’es, lui dit-elle, on n’a pas besoin d’acomptes !

Que faire ? Plus d’argent, plus de pain. Quand la petite veut sortir, elle tombe évanouie… Sans l’intervention d’une bonne camarade de théâtre, Mlle Tigé, l’odyssée se serait terminée dans les eaux limoneuses que roule l’estuaire de la Garonne, comme une effroyable tentation.

Mais le destin cruel veillait. Le prix du voyage aux Antilles fut enfin réuni. De quelle manière, ne nous le demandons pas, Les deux voyageuses s’embarquèrent ; elles avaient les yeux pleins de larmes, se croyant sauvées.

Hélas ! elles arrivèrent à Pointe-à-Pitre en pleine révolution. Quel débarquement ! Une tempête, un ouragan effroyable, l’émeute des nègres dans toutes les rues, la fièvre jaune dans toutes les maisons. Plus de cousine pro-