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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

De cette lente évocation, elle surgissait dans la pénombre, belle comme elle ne l’avait jamais été, infiniment touchante, dépouillée de tout halo d’énigme ou de bizarrerie. Il y avait déjà bien longtemps, plus de dix ans, que Prosper avait cessé d’être jaloux, même d’une manière rétrospective. Au point d’affreuse solitude auquel il était parvenu, les aventures amoureuses, réelles ou probables, s’effaçaient de sa mémoire, aussi bien celles qu’il avait connues ou imaginées que celles qu’il avait vécues pour son compté. Il demeurait leur union, traversée de tant de désillusions et de douleurs, d’efforts pénibles et de désirs irréalisés, quarante ans de travail et de peines, où ils s’étaient appuyés l’un sur l’autre. Le reste, c’était de la littérature. Pauvres amusements de papier qu’il importait de ne pas trop prendre au sérieux, puisque, dans la famille, chacun avait écrit des vers et savait bien ce qu’en valait l’aune.

Sans trouble maintenant, sans soupçons inquiets, Valmore relisait, de sa voix grave, accoutumée au ronflement des alexandrins, les dernières poésies de Marceline. Il en goûtait le rythme et l’harmonie si pure, le lyrisme passionné mais toujours ingénu, la musique plus racinienne que romantique, qui lui rappelaient les vers qu’ils alternaient jadis, à Bruxelles ou à Lyon.

C’était là les seuls et derniers hommages qu’à l’ombre discrète de ses pénates Prosper