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LE MARI SIFFLÉ

émeutes recommençaient et ensanglantaient les rues. Les canuts descendaient, en rangs serrés, de la Croix-Rousse, avec leur terrible bannière : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant. » Les théâtres se vidaient, Marceline mandait à Théophile Bra :

« Tu n’as pas idée de la misère, ne l’ayant pas vue à Lyon. Elle est plus maigre et plus noire qu’ailleurs et ne se lave qu’avec du sang… »

Et à la chère et laide Mélanie Waldor, maîtresse délaissée d’Alexandre Dumas :

« Bénissez Dieu, vous n’habitez pas Lyon ! »

Valmore était allé se loger, avec sa famille, 1, rue de Clermont, près de la vaste et sinistre place des Terreaux, où avaient lieu les exécutions. On y vivait dans une atmosphère de massacre, qui surpassait tous les drames. On percevait le bruit des feux de peloton, les rumeurs de la foule. Quelles angoisses et quels dégoûts !

Cependant, il fallait, coûte que coûte, reprendre le tran-tran habituel de la vie, aller au marché, préparer les repas, conduire les fillettes à l’école, tandis que le père s’astreignait à étudier des rôles nouveaux, comme le Marino Faliero, de Casimir Delavigne, qui lui convenait si peu…

Quatre années effroyables, dans une solitude morale complète. Elles ne furent coupées que par une visite de Dumas, qui devait bien cela à son Buridan de Lyon. Incontestable-