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LE ROMAN CONJUGAL DE M. VALMORE

lier, plein de feu, l’allure d’un des bergers d’Arcadie, du Poussin. Il portait avec grâce cet étonnant costume des « chevaliers », qui servait alors à tout le répertoire classique : cuirasse historiée moulant le corps de sa carapace étincelante, jupe brodée d’or, cothurnes montant sur les mollets, casque à panache rouge, impuissant à contenir une opulente chevelure châtaine, dont les boucles calamistrées lui faisaient une auréole.

Chacun l’admirait. Les bons Bruxellois se laissaient bercer par cette voix sonore, bien qu’elle ne portât la trace d’aucun accent belge. Ils écoutaient ronfler les alexandrins, récités avec toute l’enflure de l’école. Ils ne remarquaient même pas le comique involontaire de cette tragédie classique sur les malheurs de la famille d’Agamemnon, jouée là, à une lieue à peine des grasses prairies, où, deux ans auparavant, étaient tombés les milliers de soldats de Waterloo. Ils s’efforçaient de penser aux morts de la guerre de Troie, et à ce jeune premier, frais émoulu du Théâtre-Français, M. Valmore, qui faisait un si charmant Achille.

… Ah ! demeurez, seigneur, et daignez m’écouter,

susurrait, pour lui donner la réplique, la douce Iphigénie.

Celle-ci n’était pas belle. Pas même jolie. Des yeux bleus un peu globuleux, trop facilement blanchoyants quand ils imploraient le ciel. Un nez trop long, trop large du bout. Une