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glisser entre sa main et sa joue, moi, pleurer !

Ses yeux se séchèrent aussitôt, et il fixa un regard dur sur la perspective verte et ensoleillée où les oiseaux se cherchaient et chantaient.

Le mouvement de vie qui avait un moment secoué l’antique vétusté de ses croyances était refoulé. Il allait l’ensevelir à jamais sous la poussière épaisse et lourde d’une obligation séculaire. Mais jamais, non jamais il ne pourrait l’étouffer assez pour retrouver vis-à-vis du passé sa confiance ingénue, ni pour vivre comme il avait vécu auparavant, inconscient de la mutilation de son âme.

Jusqu’à ce que la nuit fût tout à fait tombée, il resta immobile à la même place, l’esprit figé dans une même pensée, tandis que de son cœur blessé s’échappait le sang le plus vivant de son être.

Quand il se leva enfin, il était d’une pâleur de marbre. Il regarda un moment la belle nuit étoilée, puis il murmura :

— Demain ? Déjà ?

Et il ajouta :

— La vie la prendra. Elle m’oubliera.

E. P.