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vit plus rien au monde qu’une tentation présente et tangible. Un désir insensé le posséda de prendre dans ses bras cette frêle jeune fille, au cœur ardent, et de l’emporter bien loin dans un monde inconnu où les réalités deviendraient des chimères et les chimères des réalités. Il s’éveilla brusquement :

— Je suis fou, pensa-t-il en reprenant violemment possession de lui-même. Et il se redressa, tortillant nerveusement sa moustache blonde, tandis que l’impossible qui se dressait entre lui et cette petite bourgeoise reprenait, à ses yeux, sa pesante immuabilité.

Il resta un moment silencieux, étourdi, puis il se décida. S’il s’attardait, peut-être des paroles impardonnables, impossibles à justifier lui échapperaient-elles. Il passa devant la jeune fille et la salua silencieusement. Au moment de parer sa brusque retraite d’un banal regret, ses yeux avaient rencontré ceux d’Alice et, pendant l’espace d’une seconde, la certitude d’un écho douloureux vibrant dans ce cœur de jeune fille, le pénétra. Il éprouva une joie courte et violente, puis il s’éloigna d’elle rapidement.

Dix minutes plus tard, le baron de M. rou-