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voisine de gauche. Pour éveiller cette ardente soif de liberté, la dépendance où vivait la jeune fille devait lui sembler bien lourde. Il la plaignit un instant sans réserve, puis il s’absorba en lui-même et resta rêveur. Au fond de son cœur, quelque chose de tout à fait personnel avait vibré aux paroles d’Alice, et brusquement, au milieu de ce tapage de noce, entouré de ce petit monde indifférent, le gros souci de sa vie venait de lui serrer la gorge comme si l’ardent appel de la jeune fille à la liberté l’avait évoqué et avivé. Entraîné par un irrésistible élan de chagrin, il murmura :

— Vous aviez raison tout à l’heure, c’est vrai, je ne suis pas libre.

Et, oubliant un moment sa réserve ordinaire sur les circonstances particulières de sa vie, il dit l’esclavage qui attachait la portion la plus vivante de son âme à un passé mort, la servitude forcée où ses goûts et ses ambitions avaient abdiqué à perpétuité. Dans les circonstances données, son activité s’éteindrait dans un rôle de chaînon passif ; sa mission se bornait à transmettre intact à la génération à venir le faisceau de souvenirs, de traditions, d’antiques respects dont il était dépositaire. Il