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petite phrase, toujours la même, lui arrivait comme un refrain fatigant : « Ce garçon-là ne sera jamais bon à rien ! »

Et, pourtant, il se souvenait qu’autrefois, quand il n’était encore qu’un enfant chétif et souffreteux, chaque fois qu’il voyait le sol trempé par l’hiver s’entr’ouvrir aux souffles attiédis du printemps, verdir, pulluler de fleurs, il murmurait résolu : « Je ferai comme elle, moi aussi, je travaillerai ». Et dans son âme timide, en dépit du courant contraire qui l’avait emporté si loin de ses désirs, l’espérance obstinée de triompher de tous les obstacles avait vécu jusque-là, s’appuyant sur ses efforts personnels et sur son travail. Mais, depuis qu’il avait posé le pied sur ce sol où il avait tant souffert, l’énergie tenace qui avait résisté à tous les heurts antérieurs avait fait place à une mollesse sans désir ; il lui semblait que les mots cruels de son oncle disaient vrai, que la destinée serait plus forte que sa longue résistance et qu’il ne serait jamais bon à rien.

Pour secouer cette torpeur où ses espérances s’enlisaient, parfois, tandis qu’il errait à travers l’or éteint des champs rasés, il appelait tout haut son père, comme le jour lointain où, enfant désolé, il courait sur la plaine