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Elle songea un moment au temps où elle l’avait disputé à la mort sous l’œil anxieux du père, et cette époque lui parut si perdue dans l’ombre noire du passé que, sans la présence obsédante de Lucien, elle en eût à peine retrouvé la trace dans sa mémoire.

Un léger bruit l’arracha brusquement à sa rêverie. Elle avait entendu un glissement de pas dans le corridor et, presque en même temps, elle avait eu la perception que quelqu’un s’était introduit dans la chambre et, sournoisement, épiait son attitude. Elle se trouva face à face avec Lucien. Sa serviette d’écolier sous le bras, la figure échauffée, le souffle haletant, l’enfant s’était arrêté sur le seuil et il la regardait, très étonné. Il demanda enfin d’une voix timide, hésitante :

— Est-ce que vous avez du chagrin, maman ?

Germaine éprouva une commotion désagréable. Depuis qu’il l’avait suivie sur un sol étranger, Lucien ne se servait plus que très rarement de cette dénomination familière. Jamais il ne l’employait en présence de Philippe. Ces deux simples syllabes sortant soudain des lèvres de l’enfant remettaient en lumière le souvenir qu’elle venait d’entrevoir noyé d’oubli, le souvenir pâlissant du père.

Elle resta quelques secondes silencieuse,