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Chaque fois qu’une de ces fourmilières d’êtres presque imperceptibles se trouvait sous ses pas, Isabelle ramassait dans ses mains les plis de sa robe de laine blanche et elle s’arrêtait net. De la pointe de son ombrelle, elle remuait le tas de varechs et de tout près, longuement, elle considérait les bonds désordonnés de ce petit monde remuant. En même temps, le souvenir de Lucien et de son amour pour les choses de la nature, ce Souvenir puissant qui remontait tout vivant du passé chaque fois qu’elle était en contact avec les fleurs, les plantes, l’air, le soleil, tout ce qui constitue la vie intime de la terre, la saisissait brusquement. Elle restait penchée sur le sol, le cœur déchiré de regrets.

Ni le passage de tant de jours monotones, ni les efforts désespérés de Philippe n’avaient diminué en rien l’obsession de cette réminiscence tenace enracinée au fond de sa mémoire. Elle était demeurée aussi vivace qu’au premier jour, comme si quelque stimulant secret caché dans un repli mystérieux de son âme l’y ranimait sans cesse.

L’ombre descendait et déjà la ligne de l’horizon s’effaçait dans le vague brumeux du