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les ignorés

mourir qui avait renversé d’un souffle toutes ses précédentes notions de la vie et du monde.

De grand matin, on vint la chercher et elle suivit ses guides avec une sorte d’empressement fiévreux. Tout valait mieux que cette horrible attente, tout. Une heure plus tard elle se réveilla la figure emprisonnée de linges et la tête pesante, mais consciente que la vie lui était rendue et qu’une nouvelle perspective d’années, toute une existence inconnue s’ouvrait devant elle, indéfinie et mystérieuse.

Julie vint la voir à quelques jours de là. Gênée en face de ce visage masqué de linges, ne sachant quelle consolation offrir, n’osant risquer aucune question touchant le mal de Micheline ni ses projets d’avenir, l’amie essaya de la distraire en lui racontant ce qui se passait là-bas, au restaurant. Un tel et un tel s’étaient informés d’elle. Quant à son ami particulier, il n’avait reparu qu’une fois, toujours accompagné de ce grand blond à l’air dur. Ils l’avaient questionnée au sujet de Micheline, et depuis on ne les avait plus revus ni l’un ni l’autre. Ne se souvenait-elle pas de ce grand blond à l’air dur qui était venu le jour où elle s’était tout à coup sentie si mal ?

Micheline, qui n’avait pas encore quitté sa couche d’hôpital, resta longtemps les yeux au plafond sans parler. Toute sorte de choses cruelles passèrent dans son esprit avant qu’elle formulât sa réponse. Enfin elle dit simplement :

— Je me souviens.