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les ignorés

La salle s’était vidée peu à peu. Dès que Micheline se sentit assez maîtresse de sa voix pour parler sans trahir son angoisse, elle appela Julie et elle lui dit à la hâte :

— Je ne sais pas ce que j’ai, je me sens tout à coup très malade. Je m’en vais un moment ; si on s’aperçoit de mon absence, tu diras que…

Julie l’interrompit, la voix compatissante :

— Ma pauvre Micheline, en effet, tu as l’air d’une morte. Tu es d’une pâleur, mais d’une pâleur… Oui, va-fen, va-t’en vite, le grand air te remettra ; on étouffe ici aujourd’hui.

Elle l’accompagna quelques pas et elle ajouta d’un accent vrai, sincère :

— Et tu sais, si je puis t’être utile en quoi que ce soit, tu n’as qu’à dire.

Cette fois, l’attitude et le ton de Julie ne blessèrent pas Micheline. Depuis quelques minutes le soleil avait changé d’orientation pour elle, et ce phénomène lui bouleversait le cœur et les idées. Elle murmura :

— Merci… merci ! Oh ! oui… ne m’abandonne pas, toi. Je t’écrirai.

— Tu m’écriras ? Mais nous nous verrons demain, n’est-ce pas ?

— C’est vrai… Nous nous verrons demain. La tête me tourne tellement que je ne sais plus ce que je dis. Adieu, je m’en vais.

Elles échangèrent une poignée de main chaleureuse d’où avait disparu toute trace de rivalité, et Micheline s’en alla.