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vivre à paris

vait-elle pas éprouvé ailleurs un changement de voix et de manières, un désintéressement immédiat, cruel, qui ne trouvait pas même nécessaire de s’expliquer ? Seul, un homme l’avait questionnée avec intérêt et lui avait témoigné de la pitié. Mais ce même homme n’avait jamais voulu ajouter foi aux récits qu’elle lui avait faits de son passé. Une femme qui abandonne foyer, mari et enfant, pour la joie de vivre à Paris dans un servage éreintant, lui avait paru une fable si insoutenable que plus d’une fois, sans prendre la peine de la contredire, il en avait ri ouvertement devant elle.

Et pourtant c’était vrai, qu’elle avait un foyer, un mari, un enfant Et c’était vrai qu’elle s’était détournée avec une horreur instinctive de tout ce qui pouvait l’obliger à subir sans révolte des paroles humiliantes, de tout ce qui pouvait la distraire du culte absorbant de sa personne, de sa stature de reine, de sa peau blanche et fine de fleur de serre.


III


En descendant ce matin-là le boulevard Saint-Denis et le boulevard Poissonnière pour se rendre à son poste, Micheline songeait avec une acuité inaccoutu-