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les ignorés

dormant sur le dos au fond de sa couchette après avoir été longtemps, longtemps bercé ; elle se voyait elle-même, enfin, courir comme une voleuse dans les sentiers, courir à toutes jambes pour atteindre le train de Paris à son passage…

Le jour de sa rentrée venu, fatiguée de se tourner et de se retourner sans trouver le sommeil, elle se leva de grand matin. Une pâle lueur, l’aurore froide d’une journée sans soleil, commençait à pénétrer dans la chambre. Sa bougie allumée à la main, elle s’approcha du miroir pendu à côté de la fenêtre, enleva le pansement appliqué sur sa joue l’avant-veille et tout de suite elle soupira soulagée. Il y avait un mieux, un mieux sensible que la fraîcheur de l’air matinal accentuait.

Elle badigeonna de poudre la joue malade avec un soin particulier, l’étira et la gonfla tour à tour pour se mieux convaincre d’une diminution de raideur, sans cesser d’être travaillée par de sourdes inquiétudes, par de vagues appréhensions de différente nature au fond desquelles passait, par moment, une vision éclatante de la toute petite place qu’elle occupait au milieu du brouhaha de la grande ville, de son absolue insignifiance même auprès de ceux dont les quotidiennes flatteries de quelques instants avaient suffi à la faire vivre contente.

Depuis le misérable accident de sa joue n’avait-elle pas lu dans plus d’un œil une surprise amusée ? N’a-