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le travail de la nature, essayât toutes les nuits l’application d’un remède différent, les variant à l’infini, soutenue par l’espérance tenace de découvrir enfin celui qui conviendrait à son mal.

Et peu à peu l’immobilité même de cette tache mystérieuse lui tortura l’esprit. Cela devint une obsession de toutes les minutes. Elle aurait mille fois préféré la voir grandir, s’envenimer, avoir le cours ordinaire des choses : la croissance, le déclin et la fin, que s’éterniser dans un état stationnaire sans issue apparente.

Elle ne savait plus qu’inventer pour stimuler la lenteur incompréhensible de la nature, et un soir enfin, pour tirer coûte que coûte ce mal mystérieux de son apathie, le forcer à activer son travail, elle piqua du bout d’une aiguille le bord de la tache. Elle ne ferma pas l’œil de toute cette nuit-là. Elle se tournait et se retournait sans savoir pourquoi, la tête en feu.

Le lendemain, quand elle arriva de grand matin faire son service, Julie Dupont, l’amie à qui elle devait l’entrée de la maison, la regarda longtemps stupéfaite. Enfin, elle lui dit :

— Qu’est-ce que c’est que cettè tache que tu as dans la joue ?

De toutes ses compagnes, Julie était la seule avec qui Micheline eût gardé quelques rapports affectueux. Ce n’était plus tout à fait l’intimité d’autrefois. Toute bonne fille qu’elle fût, Julie avait eu, par-ci par-là, des moments de vexation à côté de cette superbe Micheline à qui tout le monde souriait. Un rien de rivalité,