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vivre à paris

repas, les deux hommes se levèrent et allèrent décrocher leurs manteaux.

Tout en boutonnant le sien d’une main pressée, le jeune homme blond reprit sa phrase interrompue :

— Quant à cette tache qu’elle a dans la joue, il faut qu’elle se fasse enlever ça le plus tôt possible. Ça… une misère !… C’est tout simplement…

Il s’arrêta net. Micheline venait de les frôler. Elle passa comme une flèche à côté d’eux sans les regarder, et tandis qu’ils s’éloignaient, elle alla s’appuyer à la fenêtre, le dos à la rue.

À droite, à gauche, en face d’elle, partout, de grandes glaces éblouissantes de propreté séparées les unes des autres par des moulures, des enjolivures de plâtre badigeonnées d’or, occupaient tous les panneaux.

Autrefois, si pressée qu’elle pût être par son service, Micheline ne passait jamais devant ces glaces sans y jeter un coup d’œil rapide, tandis que l’ivresse de se sentir un objet d’admiration pour des messieurs de Paris, de vrais messieurs aux mains blanches, l’affolait d’une joie froide mais profonde. Ce jour-là, dès que les deux amis eurent refermé la porte, ce fut un regard craintif, presque épouvanté, qu’elle risqua du côté de la glace.

Il y avait bientôt quatre ans que Micheline vivait à Paris. Protégée par une amie d’enfance placée dans la même maison et à qui elle s’était adressée à son arrivée, tout de suite, sur sa bonne mine, son air délibéré, son sourire engageant, elle avait été prise à l’essai,