Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
vivre à paris

L’honneur, l’enfant, le blâme extérieur de ceux qui lui avaient crié gare avant le mariage et dont chaque parole dissimulerait désormais un sourire de pitié, toutes ces blessures du cœur et toutes ces humiliations de l’amour-propre n’étaient rien auprès de la disparition de Micheline du foyer conjugal. Même si sa femme avait là-bas un sort assuré, un gagne-pain avouable, il ne consentirait pas à la laisser partir. Jamais !

La voix brève, cassante, il l’interrogea :

— Et pour vivre là-bas, qu’est-ce que tu feras ?

— Je gagnerai mon pain comme une autre.

— Comment ? Qu’est-ce que tu feras ?

Elle le regarda fixement, avec un éclair dans sa prunelle sombre :

— C’est ça qui t’inquiète ? Tu y tiens tant que ça à ton nom de paysan ? N’aie pas peur, je n’ai pas le goût des vilenies, moi. Je n’y ferai pas un seul petit accroc à ton nom. Es-tu content ?

Il se tut de nouveau, arrangeant dans sa tête les mots qui s’y battaient en désordre. Enfin, il lui jeta à la figure sa volonté tout d’une haleine :

— Tu resteras ici, comprends-tu, à ta place, entre ton mari et ton enfant. En voilà assez de bêtises pour aujourd’hui !

Et quittant le berceau qu’il n’avait pas cessé de balancer du pied, il se leva pour en finir. Du fond de la couchette aussitôt des cris s’échappèrent, des cris aigus d’enfant en proie à d’obscures souffrances, la