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il la tint ferme, lui soufflant sur la nuque une haleine pressée :

— Laisse ce miroir, entends-tu ?

Suffoquée de surprise, Micheline se retourna prestement, tandis qu’avec la véhémence outrée des êtres faibles, qui parviennent à se libérer un moment de l’esclavage, Carpier lui jetait à la face tout un flot d’outrages. Elle était une sans cœur, un chiffon de vanité, une mauvaise femme, une mauvaise mère, une créature à attirer la malédiction sur ses talons partout où elle irait. Tout ce qu’on lui avait dit dans le temps pour l’empêcher de la prendre, c’était vrai, c’était vrai, on n’en avait pas dit assez…

Micheline laissa passer le torrent sans l’arrêter. Quand il fut épuisé, elle dit, glacée :

— Dans ce cas, moi, je suis bien sotte de rester à m’ennuyer ici. Si tu crois que je m’amuse dans ce trou où l’on ne voit rien passer que des bêtes ! Et s’il faut encore s’entendre insulter chez soi ! Merci, j’en ai plus qu’assez, moi, de cette existence-là. Je te délivrerai de moi, puisque je te pèse sur les épaules ; je saurai assez me tirer d’affaire seule, là-bas, et j’aurai au moins la paix.

Jules Carpier tressaillit. Depuis que la petite fille était née, il croyait que, Micheline trouvait enfin chez elle de quoi satisfaire son amour de changement et que, tout en n’étant pas une mère caressante ni démonstrative, ce qui n’était pas dans sa nature, elle se sentait désormais attachée à son foyer par d’imbrisa-