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fausse route

— Ça, dit Rose placide, c’est son affaire, c’est pas la mienne.

Suzanne eut un haut le cœur. Ce cynisme dans la bouche d’une mère la révoltait, la bouleversait. Elle hâta le pas et, sans regarder, ni saluer, elle passa à côté de la boutique.

Charpon continuait à parler, il apostrophait sa femme avec impatience.

— Ne pouvais-tu pas dire ça autrement ? Tu dépasses vraiment les bornes de la bêtise, toi ! Tu es une sorte d’animal, une méchante bête, voilà ce que tu es.

Et s’irritant au bruit de ses propres paroles, il continua :

— Je veux que tu la surveilles, tu entends. Avec celui-là ou avec un autre, qu’est-ce que cela me fait ? Ce que je ne veux pas, c’est qu’elle se compromette.

— Bah ! dit Rose sans s’émouvoir, c’est trop tard, il s’en va demain.

Suzanne eut un coup au cœur, un éblouissement, elle fut sur le point de revenir sur ses pas, pour souffleter ces deux êtres hideux, cette femme surtout, ce monstre ! Mais non ; elle ne voulait pas se commettre avec ces deux natures basses et méchantes. Il aurait fallu pouvoir les écraser comme des vipères et les jeter au fumier. Elle poursuivit son chemin le cœur bondissant, outrée de l’insulte, visant Michel, contenue dans les paroles de Rose, et avec, au fond de son être, une toute petite inquiétude naissante qui la