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trouvé l’équilibre de son humeur et, en touchant mal à propos à ses récentes confidences, elle craignait de réveiller sa sensibilité.

Elle laissa passer toute la journée sans oser faire allusion au départ de Michel, mais, le soir venu, voyant que le jeune homme tardait à rentrer, elle se décida à aller à sa rencontre du côté de la forêt où d’ordinaire il dirigeait ses promenades nocturnes.

En l’apercevant, Rose, assise à sa place ordinaire devant la porte, héla son mari avec une vivacité où vibrait une joie sauvage, une joie de bête fauve qui vient de poser sa griffe sur sa proie.

— Charpon ! Charpon !

Charpon jeta son journal à terre et il vint tout de suite sur le seuil, comme s’il savait ce dont il s’agissait et qu’il eût été convenu entre les époux que, le cas échéant, il abandonnerait sa lecture. Il promena ses yeux de lynx dans la rue à droite et à gauche, puis il dit :

— Où peut bien être Angélique ? On ne sait jamais où cette petite va se fourrer tous les soirs.

— Elle sera allée à la forêt, dit Rose, en soulignant les mots, tandis qu’un large sourire éclairait sa figure bouffie et stupide.

Instinctivement, Suzanne ralentit le pas et prêta l’oreille. Tout ce qui touchait à Angélique lui remuait le cœur.

— Si j’étais sa mère, moi, dit Charpon, je la surveillerais mieux. On sait où ça mène de laisser les filles courir seules la nuit.