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fausse route

et ils regardaient tous les deux du côté de la lune. Peu à peu, l’astre s’échappait de ses voiles. Déjà le sommet du globe montrait, au-dessus de la bande des nuages, une coupole d’argent, éclatante. Bientôt la grande lumière blanche inonda toute la campagne. Michel murmura d’une voix sourde, contenue :

— Une semaine ! Plus qu’une semaine !

Suzanne tressaillit, mais elle n’osa pas le regarder ; il y avait dans la voix une vibration, un trémolo, qui trahissait trop d’émotion. Sans cesser de fixer droit devant elle le grand rond étincelant de lumière, cette lune qui avait l’air gigantesque, elle répondit :

— Je pense à ton père, Michel, et à la joie qu’il aurait de te voir arriver au but qu’il a choisi pour toi. Est-ce que cette pensée ne te suffit plus ?

Il hésita comme si son cerveau était la proie de trop d’idées et que trop de choses contradictoires eussent longtemps ballotté dans sa conscience sans y prendre pied. Enfin, du même ton vibrant, il dit :

— Un souvenir arme la volonté, mais ne change pas le caractère. J’aime trop les choses de la vie, et il me semble quelquefois que, pour obéir à mon père, je risque de mentir à la vérité. Je n’ai pas l’âme d’un prêtre.

Et sentant trembler sur son bras la main de Suzanne, il ajouta vivement :

— Tante Suzanne, dites-moi la vérité. Pourquoi, vous aussi, désirez-vous si ardemment m’exclure des joies honnêtes, des joies de la f… de l’existence ?